“Présidents”, ou la difficulté à croquer le chef de l’État à l'écran

Pierre Murat

La France n’est pas les États-Unis, où la représentation du pouvoir constitue un genre en soi. Avec son “Présidents”, déroulant la future carrière d’un Sarkozy et d’un Hollande de fiction, Anne Fontaine signe une aimable fable qui a le mérite de la légèreté.

Au cinéma comme dans la vie, il est des présidents intouchables. Abraham Lincoln, par exemple, toujours sanctifié, de John Ford, à la fin des années 30 (avec Henry Fonda), à Steven Spielberg, récemment (avec Daniel Day-Lewis). Mais il faut reconnaître aux Américains, vis-à-vis de leurs dirigeants, une insolence que nous n’avons jamais eue. Hollywood n’en a épargné aucun : ni Richard Nixon, ni Ronald Reagan, ni Bill Clinton, ni Bush père et fils. Quant aux fictions, il s’en est donné à cœur joie : on a même vu, dans Les Pleins Pouvoirs (1997), de Clint Eastwood, un chef d’État (Gene Hackman) hypocrite, violent, alcoolique et obsédé sexuel, au point de tenter d’étrangler une maîtresse, vite flinguée par ses gardes du corps…

Rien de tel nulle part ailleurs. Ni en Chine, bien sûr. Ni dans l’ex-URSS : avant d’être désacralisé dans le dégel initié par Nikita Khrouchtchev, Staline (généralement incarné par le même comédien, Mikheil Gelovani) avait été le héros d’hagiographies extatiques célébrant sa sagesse, son courage et son intelligence. Il reste, d’ailleurs, une figure populaire, ce qui explique, en 2017, l’interdiction en Russie de la farce d’Armando Iannucci, La Mort de Staline.

Curieusement, ce sont deux comédiens français qui ont donné du « Petit Père des peuples » la vision la plus réaliste : André Dussollier dans Une exécution ordinaire, de Marc Dugain (2010). Et Gérard Depardieu dans Le Divan de Staline, de Fanny Ardant (2016).

Pré carré

Sur ses propres hommes politiques, en revanche, le cinéma français n’a jamais été très subtil. Dans L’Habit vert (Roger Richebé, 1937), notre numéro 1 est peint comme un brave type, méprisé par ses ministres, obligé d’acheter les journaux pour y découvrir leurs décisions. Vingt ans plus tard, son homologue dans Une Parisienne, de Michel Boisrond, a fait quelques progrès : c’est tout de même lui qui accueille la reine d’Angleterre en visite officielle à Paris. Mais son rôle essentiel est de réparer les gaffes diplomatiques de sa fille (Brigitte Bardot), notamment lorsqu’elle se met en tête de séduire l’époux de la reine, interprété par Charles Boyer…

Le seul homme d’État digne de ce nom, à l’époque (mixte de Clemenceau et de Charles de Gaulle) est dû à un quatuor : le romancier Georges Simenon, le dialoguiste Michel Audiard, le réalisateur Henri Verneuil et l’acteur Jean Gabin. Leur Président (1961) – président du Conseil sous la IVe République, en fait, autrement dit le vrai détenteur du pouvoir alors – est incorruptible au point de virer un collaborateur coupable d’avoir prévenu son beau-père d’une dévaluation imminente (« On ne dit rien à sa femme quand on a épousé une banque », tonne-t-il). Et de noter dans les Mémoires qu’il dicte à sa secrétaire cette formule qui reste étonnamment vraie : « C’est une habitude bien française que de confier un mandat aux gens et de leur contester le droit d’en user »…

De Gaulle au cinéma ? Si l’on excepte une évocation récente avec Lambert Wilson (signée Gabriel Le Bomin), il a été réduit, le plus souvent, à une silhouette (généralement interprétée par le comédien Adrien Cayla-Legrand) dans Martin soldat, L’Armée des ombres, Chacal, Le Bon et les Méchants et La Carapate.

François Mitterrand ? Robert Guédiguian a consacré, avec Michel Bouquet, un hommage tendre et respectueux, moins à l’homme politique qu’à un sage proche de la mort (Le Promeneur du Champ-de-Mars, 2005).

Fantaisie

C’est dire qu’on ne peut qu’accueillir avec sympathie la démarche d’Anne Fontaine dans Présidents (sorti le 30 juin) : elle y peint le retour aux affaires (improbable, mais pas invraisemblable) de Nicolas Sarkozy (Jean Dujardin) et de François Hollande (Grégory Gadebois), bien décidés à barrer la route d’une blonde adversaire dont les sondages, affolés, constatent la marche triomphale… Sa petite fable a le mérite de la légèreté : ce n’est pas une farce comme La Conquête (2011), de Xavier Durringer, mais une fantaisie, comme en réussissaient Michel Deville ou Philippe de Broca dans les années 60 et 70…

Et les femmes dans tout ça ? Anne Fontaine les évoque dans son film. Timidement. Comme un recours… Souvent prémonitoire, le cinéma a prudemment évité d’envisager que le futur pourrait être l’ère des femmes présidentes (sinon dans quelques comédies débiles et un navet intello brésilien au titre éminemment dépréciatif : La Femme qui croyait être présidente des États-Unis, en 2003). Dans une série télé, c’est vrai, on a vu Robin Wright accéder au poste suprême, mais seulement lorsque House of Cards déclinait. Et Commander in Chief, avec Geena Davis, une autre série des années 2000, a été un bide retentissant.

Dans Borgen, l’héroïne devenait Premier ministre. Mais à quand une femme présidente au cinéma ?